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APPEL À COMMUNICATION
Colloque international, 24-25 avril 2014, Université Paris8
«MÉMOIRE, HISTOIRE ET POUVOIR EN TERRES POSTCOLONIALES. L’EXPÉRIENCE HAITIENNE».
Un hommage à Michel-Rolph Trouillot
Club de Réflexions des Universitaires Haïtiens de Paris (CRUHP), LAVUE UMR 7218 CNRS, Laboratoire d'études et de recherches sur les logiques contemporaines de la Philosophie de Paris8 , Plateforme de Recherche de Migration et d’intégration de l’Université de Vienne, Ecole doctorale Sciences Sociales 401 de Paris8.
Les sociétés caribéennes, particulièrement Haïti se fondent sur une expérience singulière liée à la traite esclavagiste. Elles sont perçues comme des sociétés autres et d’exception selon la logique du pouvoir colonial qui a inventé et construit l’Amérique autour de l’idée de race, liée à la division du travail, inventant ainsi la colonialité du pouvoir comme nouveau modèle de pouvoir mondial. (Aníbal Quijano, Colonialidad del poder, eurocentrismo y America Latina, 2000, 202 sq). Si pour Aimé Césaire, dans Toussaint Louverture, la Révolution française et le problème colonial, par ce qu’il appelle la «solitude du pouvoir», le «pouvoir en pays colonial» préexistant aux classes est un pouvoir «non-enraciné» et distant qui avait formé et agencé «les classes artificiellement comme les rouages d’une machine» (Césaire : 1976, 46), nous pouvons nous demander si un tel constat peut se faire aussi pour le pouvoir en pays postcolonial, qui ne tiendrait d’aucun lieu d’enracinement.
Ce que Michel- Rolph Trouillot avait appelé en 1986 l’État duvaliérien dans Les racines historiques de l’État duvaliérien, c’est-à-dire «une suite d’équations où le deuxième terme impose son égalité au premier en l’engouffrant: Nation=État; État = Exécutif; Exécutif= Chef» (Michel-Rolph Trouillot, 1986:182) peut être aussi une catégorie permettant de comprendre la question de l’enracinement du pouvoir et sa mise en scène en terres postcoloniales. Il y a bel et bien un drame postcolonial lié à la question du pouvoir pris dans les rets de la colonialité. Et c’est là l’une des idées que l’on voudra discuter dans ce colloque. Il s’agira d’interroger ce qui serait le geste de fondation anthropologico-politique sur lequel ces sociétés seraient fondées en tant que société politique et «communauté politique imaginaire» (Benedict Anderson, 1996)-tout en ayant en arrière fond l'expérience d'indépendance haïtienne- afin de voir comment il serait possible de penser la déconstruction de la logique coloniale du pouvoir d’où le système-monde capitaliste puise sa dynamique pérenne. Ce qui permettrait du même coup de mieux comprendre les enjeux culturels, économiques, sociaux et politiques des revendications sociales et des dynamiques mémorielles dans le quotidien urbain et rural des sociétés postcoloniales et postesclavagistes.
C’est au regard de cette idée que nous aborderons la dynamique du pouvoir politique en Haïti. En effet, en Haïti au lendemain de l’indépendance, la question du pouvoir aussi bien que celle de l’appropriation de la terre renvoient au passé colonial esclavagiste et à l’expérience révolutionnaire. Le partage de l’espace national entre les anciens généraux reproduit les fractures coloniales que la guerre d’indépendance avait gommées pendant un certain temps alors que nous savons que depuis «1791 la terre signifie dignité, respect et liberté» (Michel-Rolph Trouillot, Ti dife boule sou Istwa Ayiti 1977 :71). C’est dire à quel point la scène du partage mine et consume l’égalité en tant qu’elle est toujours une opération qui fait tort à la communauté par l’existence même d’une «part des sans part ». (Jacques Rancière, 1995)
Si «The general silence that Western historiography (…) produced around the Haitian Revolution » (Michel-Rolph Trouillot, Silencing the past, 1995 : 97) en fait un « non event» «unthinkable», nous devons être attentifs aux rapports de dominations et d’exploitations endogènes qui consument la vérité révolutionnaire : «l’égalité de n’importe avec n’importe qui» (Rancière). La division du territoire entre trois États, après l’assassinat de Jean-Jacques Dessalines en 1806, (le royaume du Nord, la République de l’Ouest et le Sud) traduit l’expression de ces fractures et la difficulté à sortir de la colonialité. Cette division du territoire pourrait être vue ou comprise comme l’expression d’une absence de fondation partagée qui expliquerait aussi le recours à des formes de légitimation liées uniquement à l’histoire quand ailleurs, la légitimation politique prend pied dans des théorisations politiques de la souveraineté, du peuple ou du prince. D’où la récurrence d’un discours héroïsant (mobilisant des figures héroïsées) (Carlo Avierl Célius, Nationalisme patriotique, nationalisme héroïque, 2008) dont le pouvoir est toujours porteur. Comment alors le croisement entre histoire et mémoire participe-t-il alors à la construction d’une politique de l’imaginaire, une politique dont la stratégie propre est de domestiquer l'imaginaire?
À bien voir, ce croisement semble jouir d’une vertu fondationnelle. Alors, jusqu’où pourrait-il être substitué à la question du sens de fondation anthropologico-politique, à la question plus fondamentale de la souveraineté démocratique à laquelle l'on reconnaît la seule vertu fondationelle ?
Cette manière d’articuler histoire et mémoire dans la légitimation du pouvoir vaut-elle pour toutes les autres sociétés postcoloniales, les Caraïbes et l’Amérique latine? Comment reproduit-elle la colonialité du pouvoir ? Convoquer la mémoire serait-ce une quête de justification et de légitimité pour asseoir un pouvoir sans socle anthropologico-politique établi sur le «consentement» général ? Autrement dit, cette récurrence de la mémoire observée dans les pratiques de légitimation des pouvoirs postcoloniaux caribéens (dans le cas d'Haïti, la question prend tout son sens à partir de la disparition des principaux héros de l'indépendance, qui sont appropriés de part et d'autre comme lieu de justification du pouvoir) est-elle l'effet d'une absence de fondation anthropologico politique ou d'une concurrence de plusieurs modes de légitimation faisant appel à des socles anthropologiques différents?
Ce colloque, qui veut être l'occasion de s'interroger sur la question de la légitimation et des légitimités des pouvoirs politiques caribéens, est un hommage à Michel-Rolph Trouillot. Il est ouvert aux Sciences humaines et sociales et privilégie des approches non européocentrées sachant que les approches eurocentrées ont enfermé les sciences sociales caribéennes (haïtiennes notamment) dans des impasses liées à la manière dont les travaux manient les registres de sémantisation (de classification, de typologisation, etc.) dans le système de la géopolitique des savoirs.
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«MÉMOIRE, HISTOIRE ET POUVOIR EN TERRES POSTCOLONIALES. L’EXPÉRIENCE HAITIENNE»
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